Enseignement de Gerta Ital : Le Chemin

 

 

Le Rôshi vit dans l’Unité et grâce â elle, et il puise son absence de prévention dans cette universalité. De même, sa rupture avec le passé en découle nécessairement. Il affronte les conséquences de cette attitude dans un sens positif, se comportant comme le serviteur sans préjugé de l’Unité.
Il ne m’a donc jamais imposé de restriction pour mon récit. Néanmoins, je n’ai naturellement rien dit sur la solution définitive du Kôan Mu », ni sur celle du Kôan du « Son d’une seule main ». J’ai seulement esquissé le chemin qui a conduit à la fusion avec le kôan. Mais ce chemin non plus ne peut être suivi par un autre, car questions et réponses sont strictement individuelles dans un sanzen et ne concernent que Maître et élève et leur expression du moment. Donc, chaque élève est interrogé d’une manière différente. Cependant, si quelqu’un au cours d’un sanzen se servait d’expressions dont d’autres se seraient déjà servies et qui seraient issues de leur profondeur intérieure, sans qu’il les ait vécues, celui-là se duperait lui-même, Mais il ne pourrait longtemps induire son Maître en erreur.

Mon propre chemin, que j’ai essayé de décrire, a été très long et très pénible. Mais cela ne devrait décourager personne, car chaque être humain est différent des autres ; et personne n’a besoin aujourd’hui de faire des détours pour découvrir son propre moi et pour découvrir Dieu en soi. Personne, non plus, n’a besoin de quitter la religion dans laquelle il est né. Je ne l’ai pas fait moi-même. Ce ne fut d’ailleurs pas exigé de moi. Un vrai Roshi vit dans l’union avec l’Un primordial. Il n’y a ni dogme, ni rien qui soit « capable de vous rendre bienheureux ». Il n’existe rien d’autre que la Vérité en tant qu’être vivant et la seule chose à quoi tendent les efforts du Maître, c’est d’éveiller l’élève à la perception de cette Vérité.

La voie est ouverte à chacun, quelle que soit sa religion. Mais il doit la suivre. La manière dont il vaincra les diverses difficultés qui se présenteront, et dont il s’exercera chez lui, le mènera au but, même sans faire de voyage au Japon ; je crois pouvoir dire que mes propres débuts en sont une preuve suffisante. Mais celui qui se précipiterait avec violence vers le but, le verrait se dérober devant lui. Cette voie doit être suivie sans rien de préconçu. Peu importe qu’on obtienne de grands ou de petits résultats et ici je voudrais citer une fois de plus, le Père Lassalle :
« L’Illumination peut être atteinte par chacun, à condition qu’on emprunte le vrai chemin qui y conduit. Par elle-même, elle n’est ni bouddhique, ni chrétienne, ni d’aucune autre religion. On la trouve aussi bien dans l’Islam que dans le Christianisme, même si sa présentation particulière et ses méthodes ne sont pas les mêmes que dans le Yoga ou le Zen. La relation avec une religion donnée ne vient, théoriquement parlant, qu’en deuxième ligne, quoique en fait elle exigera des motifs d’ordre religieux ou une tendance vers l’absolu et des efforts très grands qui sont indispensables, de même qu’une renonciation radicale. »

Donc ce grand serviteur de la vérité dit aussi, sans ambiguïté aucune, que la Vérité contenue dans l’Illumination est accessible à tous. Mais il ne faut jamais oublier qu’elle exige une renonciation totale. A celui qui hésiterait — alors même que cette renonciation convient à l’état de son développement et n’exige le plus souvent que des décisions successives jusqu’à ce qu’elle soit parfaite — les paroles suivantes d’Eugène Herrigel peuvent servir de consolation et d’encouragement : « Même si seulement une partie de ce chemin est gravie, cela vaut la peine de le vivre ».

Le chercheur qui a gravi une partie de cette voie et a vécu de nombreuses expériences exaltantes ne connaît plus d’arrêt. Non seulement il doit en donner des preuves dans sa vie extérieure, mais aussi sur la voie de son illumination. De grands Maîtres sont allés ainsi d’illumination en illumination. Car ce qui a été atteint une fois doit être atteint de nouveau, doit être approfondi, doit être éprouvé et compris en tant qu’un tout complet et une multiplicité infinie, dans un aspect toujours nouveau.

Source : Le Maitre, les moines et moi